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À propos

 

Œuvrant comme chorégraphe à Montréal depuis 2000, Helen Simard est animée par le désir de créer des spectacles hybrides, souvent assourdissants, où elle importe les codes de la musique rock au théâtre, faisant de la salle de spectacle un espace de liberté.

Après avoir travaillé pendant 12 ans avec Solid State Breakdance — collectif de création en danse urbaine et contemporaineHelen fonde We All Fall Down (WAFD) en 2019 avec le compositeur Roger White. Organisme à but non lucratif qui soutient et promeut la création, la recherche, la diffusion et l’innovation en danse, en musique, en théâtre et en arts interdisciplinaires, la compagnie formalise 20 ans de collaboration artistique entre Helen et Roger, avec qui elle partage également sa vie. Sous leur codirection artistique, WAFD valorise le spectacle vivant comme lieu d’expérimentation et de prise de risque qui permet de déconstruire et réinventer le corps et ses façons d’entrer en relation avec le temps et l’espace, autant pour le performeur que pour le spectateur.

Foncièrement intéressé à l’idée d’en apprendre davantage sur la chorégraphe et son univers créatif, Nicolas Filion a accepté de s’entretenir avec Helen, le temps d’un café.

 

Crédit photo : Roger White

 

Entrevue

 

N: Good morning!

H: Oui, good morning! Un autre matin (rires).

 

Quel a été ton premier contact avec la danse?

 

H: J’ai l’impression d’avoir toujours dansé, même avant de commencer mes formations. J’étais une enfant qui avait toujours besoin de bouger. J’étais hyperactive, mais je n’étais pas nécessairement sportive, alors c’était difficile de trouver des activités pour une enfant qui n’arrête jamais de bouger, mais qui n’aime pas les sports. À l’âge de 12 – 13 ans, j’ai participé à un camp d’été de comédie musicale où l’on faisait du ballet et du jazz. L’année d’après, j’ai commencé à suivre des cours de jazz, puis de ballet. Assez vite, j’ai commencé à travailler au studio de danse pour pouvoir payer mes cours, parce que je suivais des cours 6 jours par semaine. C’est devenu une obsession très vite!

Je suis venu à Montréal pour étudier en thérapie athlétique, parce qu’on m’avait dit que la danse n’était pas un métier, mais une passion. Puis, je me suis rendu compte que je n’aimais ni les sports ni les athlètes ni toucher les pieds des autres (rires). C’était un très mauvais choix de carrière (rires)! Au même moment, j’ai suivi un cours de danse à Concordia et c’est comme ça que j’ai découvert le département de danse contemporaine. C’est également à ce moment que j’ai été initiée à la communauté de danse hip-hop à Montréal. À partir de là, c’est devenu une découverte des deux formes en même temps.

N: Intéressant! Est-ce que c’est quasiment une même forme pour toi, le contemporain et le hip-hop?

H: C’est quand même deux formes qui ont une façon de faire et un vocabulaire très différent. D’un côté, on a une forme de danse qui est plus scénique, alors que d’un autre côté on a une forme de danse qui est à la base sociale, voire un mode de vie. En apprivoisant ces deux formes en même temps, j’ai formé ma façon de créer et mon intérêt pour l’écriture. Je ne dirais pas que c’est une seule forme, car c’est quand même deux formes assez distinctes avec leurs propres valeurs. Mais en même temps, à travers mon apprentissage et ma formation, le contemporain et le hip-hop ont vraiment influencé la façon dont je vois la création et ce qui m’intéresse en tant qu’artiste.

 

Qu’est-ce qui t’a amenée à poursuivre une carrière artistique?

 

H: Je n’ai aucune idée pourquoi j’ai choisi de devenir artiste! C’est comme si j’ai eu besoin d’un espace pour exprimer la complexité de la vie.

J’ai choisi d’étudier en danse parce que je ne pouvais pas imaginer faire autrement. J’ai eu besoin de faire cela, à ce moment précis de ma vie. En sortant de l’université, je ne crois pas que je pensais à une carrière nécessairement. J’ai juste suivi des projets au fur et à mesure qu’ils se présentaient à moi.

Peut-être que ce qui m’a forcée à faire carrière c’est le fait d’être tombée enceinte assez jeune. J’ai un enfant. Moi et mon conjoint on s’est alors dit : « soit on se trouve des jobs normales, soit on pousse dans le domaine artistique ». Je crois fondamentalement que je fais encore ce métier, car je ne peux pas m’en empêcher.

Je ne peux pas m’empêcher de vouloir créer un autre monde, une autre façon d’être dans le monde, une autre façon d’imaginer le monde.

Pour moi ça va plus loin que la création de spectacles. I want to imagine the world possibly being otherwise than it is! Je veux créer un espace où l’on peut se permettre d’aborder la complexité de la vie. Je trouve qu’être dans un théâtre – assise dans le noir –  me permet vraiment de rêver éveillée. Et c’est cela que j’ai envie de faire en créant des spectacles : créer de petits univers oniriques où l’on peut se permettre de voir la vie autrement !

 

Quelles sont les 3 rencontres les plus marquantes de ton parcours ?

 

H: Le premier, avant tout, mon professeur de danse quand j’étais jeune: Ricky Beaulieu. Vraisemblablement, si je n’avais pas rencontré Ricky, je ne serais pas là aujourd’hui ! Il m’a tellement encouragée. Quand je voulais suivre plus de cours et que je n’avais pas l’argent pour les payer, c’est lui qui m’a proposé de travailler au studio. Il m’a poussée à vouloir découvrir d’autres formes de danse. C’est lui qui m’a même encouragée à déménager à Montréal. Un professeur de danse qui t’encourage et qui te soutient c’est tellement important. Donc, merci Ricky!

C’est certain que mon conjoint Roger White, qui est compositeur, a été une des rencontres des plus marquantes dans mon parcours. On s’est d’ailleurs rencontré sur un projet artistique. Cela fait 22 ans qu’on est ensemble.

C’est mon mari, c’est mon meilleur ami, c’est mon collaborateur et cela fait 15 ans qu’on fait des projets ensemble.

Je pense que le fait d’avoir pu travailler avec un compositeur, un musicien, à travers mes processus de façon tellement intime, a vraiment formé ma perception du spectacle vivant. Je ne crée pas juste des spectacles de danse, je crée des spectacles interdisciplinaires. C’est une rencontre qui a tellement transformé ma vie au complet, qu’on ne peut pas la nier.

Sinon, en termes d’artistes, on a un crew en ce moment avec Emanuelle Lê Phan, Alexandre “Spicey” Landé, Andrea Peña et Emily Gualtieri. C’est ma petite gang de soutien chorégraphique! Nos rencontres sont un temps où l’on peut se questionner, se pousser, s’entraider.

On a besoin de ça dans notre communauté, on a besoin d’être là les unes pour les autres.

Ce sont mes héroïnes artistiques! Je vois leurs spectacles et j’ai envie d’aller plus loin dans ma vision artistique. On a toutes des visions artistiques très différentes, mais elles me permettent de vouloir aller plus loin dans mes réflexions.

N: Je trouve cela intéressant! Le break c’est un mode de vie, une esthétique qui est associée à une vie en groupe. Des gens qui se tiennent, qui font une communauté. Et ce que tu décris c’est au-delà de l’esthétique, c’est une communauté autour de la création.

H: Totalement, et c’est ça qui est beau! Quand tu fais du break, tu ne t’associes pas juste parce que ce sont de bons danseurs, mais parce que c’est ton crew, c’est ton monde, c’est tes alliés. J’ai l’impression que des fois dans le milieu contemporain, il y a moins ce modèle de partage, de soutien, d’être ensemble dans la pratique.

Il y a très peu d’opportunités d’ouvrir sa pratique aux autres. Nous sommes souvent en compétition les uns avec les autres parce que les ressources sont si limitées. Il n’y a pas beaucoup de spectacles, il n’y a pas beaucoup de diffuseurs, on est tous en compétition pour les mêmes subventions. C’est très facile de rester dans son petit coin puis de cacher ses ressources. Ça m’a beaucoup aidé d’avoir cet espace de partage avec d’autres femmes qui ont le même métier que moi.

N: Oui des complices. Tu le dis bien. Tu travailles beaucoup avec la musique comme piste de création. Est-ce que c’est quelque chose que tu partages avec Roger, ce même environnement musical ? Ou bien avez-vous chacun votre univers?

La formule qu’on a trouvée et qui fonctionne bien pour nous – car on est quand même un couple – c’est soit on travaille sur mon projet, soit on travaille sur son projet. Les choix que Roger va prendre quand il travaille sur mon projet ne sont pas les choix qu’il aurait nécessairement pris pour lui-même. Il comprend qu’il rentre dans mon univers. Et c’est la même chose pour moi quand je rentre dans son univers. Il faut essayer de comprendre la vision de l’autre et l’aider à faire aboutir cette vision.

Dans mes œuvres, la musique devient autant chorégraphique que musicale. Les choix qu’on fait sont souvent des choix chorégraphiques, et non des choix qui entrent nécessairement dans le cadre d’une musique traditionnelle dans sa composition. Il y a des règles qu’on détourne parce que ce n’est pas la forme musicale qui m’intéresse nécessairement, mais bien l’apport chorégraphique dans la création d’un univers.

Mes spectacles entrent dans une danse qui n’est pas nécessairement une danse codifiée, d’une forme ou de l’autre. C’est un espace où beaucoup de formes se mélangent. C’est là que la musique et la danse se parlent très bien.

La musique et la danse sont deux univers sans formes concrètes, deux univers un peu abstraits, un peu flous, qui se chevauchent et qui se parlent.

Mais les deux formes sont toujours créées en tandem, un va-et-vient constant. Ainsi, cette discussion entre les deux formes, la danse et la musique, est hyper présente dans mon travail.

 

Qu’est-ce qui t’inspire le plus dans ton travail?

 

H: L’absurdité de la vie m’inspire infiniment ! La vie est tellement complexe, la vie est tellement pleine de surprises qu’on n’aurait jamais pu imaginer. Mon premier matériel d’inspiration c’est donc ça !

Je sens que dans la vie de tous les jours, il y a peut-être des règles, que la réalité existe. Mais dans l’univers du spectacle, la réalité est inventée. C’est ça qui me plait. Il y a des questionnements que je ne peux pas adresser dans la vie de tous les jours. Si je rencontre une situation ou une expérience que je ne peux pas régler dans ma vie quotidienne, je dois créer un univers dans lequel cette chose peut avoir un sens.

Pour moi, il y a une porosité qui me plait beaucoup entre le monde éveillé et le monde onirique. À travers mes spectacles, je peux aborder tout ce côté de l’inconscient, de l’absurdité, du non-sens. Des choses qui ne font pas sens dans la vie éveillée peuvent faire sens dans un spectacle.

Après, c’est aussi le côté humain de la création qui m’inspire énormément. La rencontre avec l’interprète, la rencontre avec les collaborateurs, la rencontre avec les spectateurs. C’est aussi le fait de créer quelque chose qui ne m’appartient plus. Je trouve ça tellement beau le spectacle vivant, car c’est comme un enfant : c’est toi qui as la première idée, c’est toi qui mets en place les démarches pour que le spectacle devienne quelque chose, mais après tu ne contrôles pas le résultat.

L’œuvre ne t’appartient plus une fois que tu la mets sur scène. Elle appartient aux interprètes, elle appartient aux spectateurs, elle appartient à un imaginaire collectif. 

 

Quels conseils donnerais-tu à un·e artiste qui désire entreprendre une carrière dans les arts?

 

H: Funny answer: don’t do it, run away, get a real job (rires)!

Mais ce n’est pas vrai (rires)! La plus grande chose que j’essaye de communiquer à mes élèves, et à d’autres artistes, c’est de s’habituer au rejet, de s’habituer aux gens qui vous disent non! Je me suis fait dire non souvent dans ma carrière. Je me fais encore dire non aujourd’hui.

Il y a peut-être 4 ou 5 ans, j’ai décidé de ne plus me soucier si les gens aiment ce que je fais, voir même si moi j’aime ce que je fais. L’important c’est : « est-ce que je suis capable de défendre ce que je fais? Est-ce que j’y crois? Oui! ». Cette manière de penser m’a beaucoup aidée et a libéré mes choix artistiques.

Je ne suis plus dans un questionnement constant à savoir si les autres vont aimer mon spectacle, mais dans un questionnement à savoir si je peux défendre mes choix artistiques.

N: C’est extrêmement précieux ce conseil. Je trouve cela magnifique!

H:  C’est très difficile ce que l’on fait. Il y a des jours ou je n’aime pas ma boss et ma boss c’est moi (rires)! Il y a des jours où cela ne me tente pas d’aller au travail, mais si je n’écris pas la demande de subvention, je n’ai pas d’argent pour un projet qui arrive dans 9 mois. C’est donc un travail continu, un travail très lourd des fois, mais j’y crois tellement. J’ai trouvé ma façon de faire et ma communauté!

N: C’est une belle façon de finir. Ton conseil c’est qu’il faut absolument que tu croies dans ton projet pour pouvoir avancer, mais tu as besoin de te bâtir une communauté pour y arriver.

 

 

Un mot de l’équipe

 

Aller à la rencontre de nos artistes associés est pour nous un moment privilégié de rencontre et de découverte. Nous tenons à remercier Helen et Nicolas de s’être généreusement prêtés au jeu pour conclure cette série d’entrevues.

Si vous aimeriez découvrir d’autres artistes par le biais de nos entrevues, nous vous invitons à consulter notre rubrique Articles Diagramme. Nous vous invitons également à vous abonner à nos pages web pour demeurer informé.e.s. Vos idées et commentaires sont les bienvenus, en espérant que vous ayez aimé lire cette entrevue.

Propos recueillis et transcription par Roxana Pasca, responsable des communications chez Diagramme.

 

Interprète :  Nindy Banks | Crédit photo : Do Phan Hoi