À propos
Véritable passionné d’arts vivants, Nicolas se consacre à la danse en 1998, après un parcours artistique et académique en littérature et en photographie argentique. En tant qu’interprète, il danse durant 15 ans pour de nombreuses compagnies et chorégraphes, tout en poursuivant ses études supérieures en danse et en études pratiques des arts.
En parallèle, il agit en tant que médiateur culturel, comme enseignant et contribue à plusieurs projets de recherche, avant de se lancer dans une aventure entrepreneuriale à la tête de son propre café.
Il revient à la danse en 2017 dans le rôle d’agent de développement et prend en septembre 2019 la relève de Stéphanie Hinton à la direction de FÔVE diffusion. (Propos tirés du site web de FÔVE diffusion)
S’étant croisés par le passé, cette entrevue est une première occasion pour Emmanuelle Lê Phan d’en apprendre davantage sur Nicolas, son expérience du milieu et le rôle qu’il joue chez FÔVE diffusion.

Crédit photo : Mathilde F-Desrochers
Entrevue
E: Je suis contente de faire cet entretien avec toi. Comment vas-tu aujourd’hui?
N: Je vais bien! C’est le printemps, ça bouge. Finalement, on sent que le travail recommence au niveau de l’agence et du milieu: c’est stimulant.
Quel a été ton premier contact avec la danse?
N: J’ai fait mes premiers cours à l’ADMI, qui est devenu l’EDCM, avec Isabelle Poirier en récréatif. Je suis tombé en amour avec l’énergie que l’on avait en studio. J’avais découvert la danse quelques années auparavant comme spectateur en arrivant à Montréal, à 19-20 ans.
E: Quelles ont été tes premières découvertes?
N: Je dirais Louise Bédard et Sylvain Émard d’abord, puis certaines très belles propositions de Danse-Cité, à l’époque où ils faisaient des volets interprètes. Je me souviens d’une édition où Benoît Lachambre avait invité trois chorégraphes à lui faire des pièces — je me souviens d’un duo magique entre Benoît Lachambre et Robert Meilleur… C’était débile: c’était tellement drôle et inventif. Je nommerais aussi les pièces d’Harold Rhéaume, celles de Jean-Pierre Perreault.
Je suis tombé en amour avec la discipline, moi qui venais d’un milieu plus littéraire. J’avais aussi étudié en photo donc je sentais que j’avais un parcours artistique à faire mais je ne savais pas que j’allais passer par la danse. Je me suis retrouvé à danser 10 ans comme interprète pigiste et en parallèle, je menais un parcours académique à l’UQAM. J’ai fait tout mon parcours à l’UQAM: c’est là que j’ai été formé comme interprète au baccalauréat, j’ai poursuivi à la maîtrise et j’ai entamé un doctorat que je n’ai jamais fini.
Je suis finalement revenu dans mon siège original qui est celui du spectateur pour opérer comme agent: je trouve que je fais un peu le lien entre le chorégraphe et l’autre spectateur à côté de moi.
À quoi rêvais-tu lorsque tu étais jeune?
N: Jeune, c’était écrit dans le ciel depuis la première année que j’allais devenir écrivain. J’ai écrit ma première pièce de théâtre en troisième année et c’était une pièce pour ma gang à l’école, pour Noël. Cela n’avait rien à voir avec une discipline du corps!
E: Ah wow. Ça a été une surprise vers dix-huit ans: un petit virage vers la danse.
N: Plutôt même à vingt-quatre ans!
Lors de ton parcours, qui sont les personnes qui t’ont le plus marqué?
N: Quelques personnes me viennent spontanément en tête, dont Louise Bédard, qui était une chorégraphe que j’aimais beaucoup quand j’ai découvert la danse.
Ensuite, elle a été une des premières après Ginette Laurin à m’offrir un contrat professionnel. On reprenait avec un cast différent sa pièce Les fougères foulées du regard. Le plaisir de travailler avec elle m’a marqué.
On s’est retrouvé à nouveau plus tard, alors qu’elle était professeure invitée au département de danse de l’UQAM: j’ai enseigné avec elle en tant qu’assistant de cours. Ça a été une de mes expériences d’enseignement les plus fortes. Premièrement, on a été chanceux d’enseigner à une cohorte aussi phénoménale. Mais en plus, la complicité que j’avais avec Louise était super forte: elle m’a tout de suite fait confiance.
Ce que j’apprécie particulièrement de Louise, c’est cette rigueur dans le travail qu’elle a à tous les niveaux. On a beaucoup parlé du travail qu’elle a fait comme interprète, mais comme enseignante, l’exigence folle qu’elle avait envers elle-même faisait en sorte qu’elle n’avait pas besoin d’en rajouter. Dès qu’elle arrivait en classe, tout le monde était un peu plus réveillé et avait le goût d’en donner un peu plus et cette énergie était vraiment stimulante. J’aime être exigeant envers moi-même, j’aime qu’on le soit envers moi également et donc, cette force m’a donné de la drive.
Aussi, elle a été une des deux co-directrices de mon mémoire de maîtrise donc ça a été une personne qui est restée très présente pour moi, tout au long de mon parcours en danse. Donc oui, Louise pour la danse.
Ensuite, je reviens à une autre période de ma vie où j’étudiais en photo argentique. Un des professeurs qui nous enseignait la prise de vue était tellement enthousiaste dans sa manière de nous guider dans le cadrage de l’image. C’est drôle parce que je me souviens qu’on ne trippait pas nécessairement sur ses photos, mais son énergie, je l’ai toujours traînée avec moi. Il était comme un lutin qui sautait d’un étudiant à l’autre pour nous faire découvrir tel ou tel cadrage… (rires)
Il recadrait et disait: “regarde, tu vois, tu vois ce que je voulais dire!”. Cette espèce de folie m’a amené à être comme cela quand j’ai enseigné. Dans mon rapport à la matière, je vais toujours chercher cette référence de Philippe: il faut que je sois comme lui, une source d’enthousiasme, comme un passeur vers une discipline. Quand j’enseignais en danse, ce n’était pas moi que j’essayais de rendre intéressant: c’était la matière.
E: Oh wow. C’est surtout l’enthousiasme et l’énergie qui t’a frappé chez tes influences.
N: Oui! Le rapport au travail, à la matière et la curiosité.
E: Comme je ne connais pas complètement ton travail, peux-tu nous faire un petit topo sur ce que tu fais avec FÔVE diffusion?
N: Je suis un peu devenu agent par accident. C’est un poste où il y a un manque, pour la danse particulièrement. Je me suis retrouvé à accepter cette tâche parce que j’ai quitté le domaine de la culture pour un moment: je suis parti 4-5 ans faire autre chose complètement et ouvrir un café.
Et là, j’ai réalisé que la danse me manquait et que je voulais revenir dans le milieu, mais dans un poste particulier: je ne voulais pas être le moteur dans les projets auxquels je participais. J’ai décidé que je voulais me positionner comme le soutien d’une ou de plusieurs drives: mes années en tant qu’enseignant m’ont fait réaliser à quel point c’était une tâche que j’aimais que de me mettre au service d’un projet et servir d’entremetteur ou d’étincelle pour faire arriver les choses.
Maintenant, ce sont les artistes avec qui je travaille qui sont la source de drive. L’énergie d’une Caroline Laurin-Beaucage, d’une Anne Plamondon ou d’un Harold Rhéaume est celle qui nourrit les activités de leur compagnie. Ils sont leur propre moteur.
Il y a quelques années, j’ai rencontré Catherine Gaudet qui cherchait une personne pour la représenter et qui m’a mis dans les pattes de Stéphanie Hinton, qui cherchait de son côté quelqu’un à former comme agent. Et de là, j’ai été mis dans les pattes d’Anne Plamondon, qui cherchait elle aussi quelqu’un pour la représenter. Tout ça m’a amené vers ce poste pour lequel je ne me destinais pas nécessairement. Comme ce n’est pas la tâche dans laquelle je me voyais, j’ai voulu la réinventer un peu. Je ne me vois pas vraiment comme un agent ou un représentant qui va vendre des shows.
Là où je me sens le plus à l’aise est lorsque je suis intime avec les œuvres et que j’arrive à réfléchir au travail, à la diffusion et au développement des projets avec les artistes.
E: Donc tu es présent dans le processus?
N: J’essaie. Avec la pandémie, c’est plus difficile mais avec certains artistes, je contribue dès le départ à la rédaction des projets, les demandes de subvention, etc. Pour écrire cela, il faut que j’y réfléchisse avec les artistes. Et c’est ce qui me donne ensuite des munitions pour convaincre et un regard en profondeur sur les projets et le travail. C’est aussi ce qui me sert dans le travail et l’approche avec les diffuseurs.
Je pense que Stéphanie Hinton avait également démarré FÔVE dans cette idée: elle est une artiste qui est devenue agente. Elle a une culture très profonde de la danse et était devenue une référence pour le milieu: beaucoup de diffuseurs lui demandaient son avis et c’est de cette façon qu’elle s’est imposée auprès de ses collègues.
J’espère tranquillement me faire une place comme cela dans le milieu. C’est pour cela aussi que j’essaie d’étendre les activités de l’agence: je fais aussi de la représentation, des formations, des ateliers, du coaching et je me maintiens à jour à propos d’autres aspects de la discipline.
E: C’est super intéressant et vraiment beau que tu fasses partie du processus et que tu aies une relation étroite avec tes artistes.
N: Pendant la pandémie, ça a été intéressant parce qu’avec chaque artiste, il a fallu s’asseoir et repenser les projets: ce qui tient, ce qui change et comment on s’oriente. Stratégiquement pour les diffuseurs mais aussi stratégiquement pour la survie et le maintien de la compagnie. Donc, ce rapport dépasse le simple enjeu de savoir quand on va reprendre la diffusion et quand on repart sur la route.
Finalement, le plus proche de l’artistique je suis, le plus heureux je me sens.
E: Dirais-tu que c’est ce qui t’inspire le plus, cette relation avec les artistes?
N: Oui.
E: Plus que d’aller dans les événements?
N: Ah bien, ça c’est un nice to have (rires). Voyager et tout cela, je ne vais pas cracher là-dessus, c’est certain. Mais le cœur du travail, c’est d’être en lien avec les artistes et quand je voyage, j’ai la chance de découvrir d’autres signatures artistiques et d’autres approches.
Souvent, les diffuseurs ont eux-mêmes un regard très intéressant sur la discipline: ils ont un autre point de vue qui est très intéressant et nourrissant, mais je l’oriente toujours dans mon rapport à la discipline et au travail et non à : “quel est le meilleur moyen de circuler plus?” (rires). Ce n’est pas ça mon approche.
Quels sont les plus grands défis que tu as rencontrés jusqu’à présent?
N: C’est sûr que comme agent, il faut qu’on bâtisse un réseau. C’est la même chose pour tous les artistes, de toute façon. Connaître le plus de monde possible, leurs besoins et où les orienter est le cœur de ma tâche: je suis un entremetteur.
Ce qui est le plus difficile est de savoir quoi faire de ces rencontres et instaurer une forme de rigueur dans ma façon de travailler.
Après le réseautage, il y a une distillation à faire: comment est-ce que je note les opportunités? Comment est-ce que je crée des liens pour générer des collaborations et des tournées éventuelles, etc.? Il y a un immense travail à faire pour colliger toutes ces informations.
Je suis allé à la bonne école avec Stéphanie parce qu’elle a une super belle tête: c’est une fille très brillante qui a une grande patience pour la gestion de ces informations. Je l’ai vue se démener avec cette surenchère d’information: des bases de données, des listes de participants à une multitude de marchés. Avec qui a-t-elle parlé? De quelles œuvres? Tout cela doit être inscrit dans le système.
E: Wow.
N: Mon plus grand défi, il est là: c’est la gestion et la digestion de toute cette information, qui est le cœur de l’activité de l’agence. C’est bien beau avoir les bases de données et les emails mais: “tu en fais quoi?”
Il y a une façon de travailler à l’ancienne où on est très jaloux de notre base de données et nos contacts mais je pense que ce n’est plus cela le travail des agents dans une culture qui est comme la danse, un underdog à chaque fois que l’on va vers la diffusion et les diffuseurs pluridisciplinaires. C’est difficile de se faire valoir et pousser les œuvres. Alors, je pense que l’on n’a pas le choix de travailler en équipe et de s’entraider.
Il semble y avoir une forme d’énergie dynamique qui se met en place dans le milieu à Montréal, dans l’ensemble du pays et même à l’international. Il y a un courant fort vers l’ouverture de nos territoires, de nos contacts et de nos façons de faire. On prend conscience que, un peu comme un chef qui essaie de garder jalousement ses recettes, ce qui se passe autour de la créativité devient stérile. Alors que si tu partages à la ronde, tu dis: « Hey j’ai une nouvelle recette, essaies cela!”, les gens autour de toi seront aussi tentés de partager: soudain, ça lève, ça devient plus ouvert.
E: On s’élève plus ensemble.
N: Exactement! Et on est de plus en plus à penser comme cela et c’est clair que cette collégialité va aider le milieu. Donc un autre gros défi réside dans cette question: comment instaurer et propager cette façon de voir les choses entre nous?
Si tu avais la possibilité de choisir une loi qui serait appliquée au Québec, que ferais-tu et pourquoi?
N: Pendant la pandémie, on a tous et toutes été frappé.es par la fragilité du milieu culturel. Depuis des années, on regarde ce qui se fait à l’étranger, les meilleures pratiques au niveau du soutien des activités culturelles.
Si j’ai à m’en tenir au milieu culturel, je dirais que nous devons avoir un meilleur soutien aux artistes. Donc, oui pour quelque chose du type des intermittents du spectacle en France où tu as un soutien annuel qui remplace un recours constant au chômage parce que souvent, on est travailleur autonome et on n’y a pas accès. Donc il y a cette situation absurde et catastrophique dans laquelle on est obligés de nous démener pour survivre autour de notre pratique artistique. Il doit y avoir un meilleur soutien aux artistes.
Mais tant qu’à cela, pourquoi ne pas enchâsser cela dans un salaire citoyen, un revenu de base pour tout le monde? Les artistes pourraient en profiter et même avoir des pratiques plus underground et en vivre quand même. Et cela viendrait en aide à tellement d’autres champs de pratique.
Donc ma loi serait celle-là: le revenu minimum garanti. J’y crois beaucoup.
Les gens qui disent que ça va tuer le marché du travail: c’est ridicule. On a tous envie de plus. Selon certaines études, ce serait moins cher pour les gouvernements d’avoir un revenu minimum garanti que de continuer de soutenir la pauvreté comme c’est le cas actuellement avec le bien-être social, le chômage, etc. Si on avait un système de base régulier pour tout le monde, nous économiserions énormément de bureaucratie et de surveillance à savoir si tu y as vraiment droit et à combien tu as droit, etc. On serait capable de s’élever au-dessus de ce détestable seuil de la pauvreté.
En ce moment, on garde tout le monde le plus inconfortable possible pour les forcer à travailler et une fois qu’ils travaillent, on les sous-paie pour leur donner envie de monter dans la hiérarchie, les attacher à leur emploi. Il y a d’autres façons de stimuler une économie, c’est clair. Ce serait ça, ma loi.
E: Ok, c’est vraiment cool (rires).
Quels conseils donnerais-tu à un·e artiste qui désire entreprendre une carrière dans les arts?
N: En premier lieu, de se faire confiance et se donner le temps parce que c’est long développer une signature artistique. Il faut également être exigeant envers soi-même parce que c’est ce qui permet de creuser plus loin. Aussi, il faut être indulgent·e dans les périodes au travers desquelles tu peux passer où c’est plus difficile et où tu as l’impression de tourner en rond.
Et je vais avoir l’air de prêcher pour mon propre rôle, mais savoir bien s’entourer est le conseil le plus important et à ne pas oublier. Avoir conscience que les gens avec qui tu travailles au départ, que ce soient les danseurs ou ton soutien administratif, ce ne sont jamais seulement des employés. Au départ, ce sera quelqu’un qui vient parfois bénévolement travailler pour toi, ou encore un organisme qui t’aide, façon Diagramme ou Lorganisme. Toutes ces structures, c’est ce qui va faire lever ta carrière au final. Ta capacité à développer, entretenir, enrichir et partager les projets avec ton réseau.
Je discutais récemment avec la directrice d’une école professionnelle en danse qui m’expliquait comment elles préparent leurs étudiant·es à leur entrée sur le marché professionnel. Une des choses qu’elle a dite avec laquelle j’étais tellement d’accord est que leur cohorte de finissants, c’est probablement leurs futurs collègues de travail pour les nombreuses années à venir: “Dans votre gang, il y a peut-être votre prochain·e danseur, votre prochain·e patron·e, etc.”. Prenez-en acte dès maintenant et donnez-vous une longueur d’avance.
Commencez tout de suite à vous entourer.
Donc le réseau, ce serait mon conseil: nourrir son réseau.
E: Super important ouais. Merci!
Un mot de l’équipe
Aller à la rencontre de nos artistes associés est pour nous un moment privilégié de rencontre et de découverte. Nous tenons à remercier Emmanuelle et Nicolas de s’être généreusement prêtés au jeu.Si vous aimeriez découvrir d’autres artistes par le biais de nos entrevues, nous vous invitons à consulter notre rubrique Articles Diagramme. Nous vous invitons également à vous abonner à nos pages web pour demeurer informé(e)s. Vos idées et commentaires sont les bienvenus, en espérant que vous ayez aimé lire cette entrevue.
Propos recueillis et transcription par Philippe-Laurent Lacroix, responsable des communications chez Diagramme.
Interprètes : Nicolas Filion & Jonathan Turcotte | Crédit photo : Nicolas Ruel