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À propos

 

Originaire d’Ottawa, Emmanuelle, également connue sous le nom de B-girl Cleopatra, dispose d’un vaste bagage d’expériences en danse contemporaine, en danse urbaine et en break, discipline dans laquelle elle a gagné de nombreux prix dans le cadre de compétitions au Canada, aux États-Unis et en Suède. 

En 2012, elle cofonde avec Elon Höglond la compagnie de création Tentacle Tribe, qui traduit les influences artistiques diversifiées de ses fondateurs, dans une approche authentique rendant celles-ci complémentaires. Sous forme de duos et d’œuvres en groupe, la compagnie se démarque tant au Canada qu’à l’international avec la pièce phare Nobody Likes a Pixelated Squid, puis Fractals of you, Threesixnine et Ghost, pour n’en nommer que quelques-unes.   

Prenant une brève pause de leurs projets respectifs, Emmanuelle et Claudel ont accepté de participer à cette entrevue, le temps d’un café.

 

 

Entrevue

 

C: La dernière fois que l’on s’est vues, je crois que c’était dans des clubs de jazz (rires).

E: Oui c’était l’fun (rires). Those were the days.

C: Oui, les temps ont un peu changé. Il va être intéressant de se parler autour des questions qui ont été proposées parce que l’on se connaît un peu depuis les dernières années, mais pas d’avant cela.

 

Quel a été ton premier contact avec la danse?

 

E: Je suis born and raised à Ottawa. Mon premier contact avec la danse a été par le biais de la famille de ma mère: on appelait cela “les réveillons des Desforges”. Toute sa grande famille québécoise se réunissait et les réveillons étaient de gros partys. J’étais tellement excitée à l’idée d’y aller pour danser sur le beat disco des années 80. Plus tard, j’ai étudié en danse, en ballet et autres mais pas sérieusement en tant qu’enfant. Au secondaire, je suis allée à l’école De La Salle, un centre d’expression artistique, en concentration danse moderne.

C: Ok. Et à quoi ressemblaient les spectacles que tu as vus à cette époque? 

E: Dans le cadre du programme, il fallait voir au moins 10-12 shows au Centre national des Arts (c’était vraiment cool) et on faisait des critiques. J’ai vu Louise Lecavalier et je suis vraiment tombée en amour, Les ballets C de la B, Anna Teresa De Keersmaeker et d’autres gros noms.

C’est là que j’ai compris qu’il était possible de faire carrière comme danseuse et que c’était ce que je voulais faire.

 

À quoi rêvais-tu lorsque tu étais jeune?

 

E: Je me rappelle que je voulais être astronaute. Je voulais faire quelque chose d’important et de grandiose. De ce que je me souviens, je ne voulais pas me marier et je ne voulais pas d’enfant (rires). Et je voulais être rebelle et punk to break the rules

C: Tu voulais être une punk/astronaute (rires).

E: Oui (rires). I don’t know, tu es jeune et tu rêves. 

C: Et vers quel âge as-tu ressenti l’appel de la carrière artistique? Au secondaire?

E: Même là, je voulais juste m’amuser. J’étais bonne en maths, en sciences physiques et en chimie et mon père voulait que j’aie quelque chose de stable dans la vie. Pour lui, faire carrière en danse n’était pas réaliste: “tu vas aller te chercher un baccalauréat et tu vas être docteur” (ou une profession du genre). Donc il pensait que j’allais me diriger vers cela mais à la fin de mon secondaire, j’ai gagné un prix pour toutes les concentrations en art et cela a peut-être poussé mon père à se dire: “ok, vas-y”. Et puis, j’ai fait un Bac en danse contemporaine à Concordia donc c’était peut-être une forme de compromis que de se dire que j’ai fait un baccalauréat, mais en danse.

C: Et après cela, quel a été ton parcours? Est-ce que tu as été interprète dans d’autres compagnies? Est-ce que tu avais déjà tes projets?

E: J’ai commencé à travailler durant mon Bac pour MartaMarta Productions, House of Pride, une chorégraphe qui créait de pièce ballet/rave. Elle travaillait avec des drag queens et elle a engagé un groupe de b-girls, dont moi. J’ai travaillé avec elle et plusieurs des filles de Concordia qui faisaient du break. Avec ces filles-là, nous avons formé Solid State Breakdance collective. Au début, nous étions 14 b-girls et on créait des shows: c’était vraiment cool (rires).

C: Et maintenant, tes projets ont une certaine couleur, une signature. À quel moment ce penchant vers la danse urbaine s’est-il manifesté chez toi?

E: J’ai toujours parcouru deux avenues en parallèle: j’ai commencé la danse contemporaine à 13 ans et à breaker à 18 ans. Aussitôt que je suis déménagée à Montréal, j’ai rejoint la communauté de b-boys and girls de Montréal: j’allais dans des clubs le soir, vraiment tard et après, j’avais les classes techniques tôt le matin, à 9h. 

Dans mes recherches, je voulais voir comment fusionner ces deux styles et amener le break sur scène. À cette époque, il y avait des compagnies comme Käfig mais il y en avait peu qui cherchaient à faire ce que je voulais faire. Il y a eu la compagnie RUBBERBAND DANCE, avec laquelle j’ai commencé à travailler en 2002-2003. Leur style était un mix de ballet et de break alors je fittais un peu là-dedans. J’ai vu comment Victor Quijada mixait les styles et cela m’a aidée dans ma technique de partnering et de ballet. D’ailleurs, Anne Plamondon m’a beaucoup aidée avec le ballet.

 

Quelles sont les 3 rencontres les plus marquantes de ton parcours?

 

E: For sure, il y a Elon, avec qui j’ai fondé Tentacle Tribe. Je cherchais depuis longtemps quelqu’un qui avait le même but de créer un hybride entre quelque chose avec des lignes et la danse urbaine. Lui, il avait dans son corps les arts martiaux et il faisait du popping et du break. Notre rencontre a été significative et cela a pris beaucoup de temps avant de développer quelque chose de solide et qui avait du sens.

Si je retourne way back, la première rencontre en break que j’ai faite était avec les filles de mon crew de Upside Down Squad, à Ottawa. On était 4 filles: il y avait Lil Bear, Invertabrat, E.T. et moi, Cleopatra. Upside Down Squad a été un des premiers crews de filles à Ottawa. Le break est quand même un monde très masculin et quand je les ai vues la première fois dans un rave, je me suis dit “oh my god, I gotta do this” et qu’elles soient dans la scène m’a vraiment aidée. Je vois beaucoup de filles qui commencent le break et lorsqu’il n’y a que des hommes autours, c’est plus difficile de se garder motivée et de se sentir confortable.

Une autre rencontre marquante que j’ai faite a été avec ma professeure au secondaire: Solange Paquette, qui m’a réellement ouvert les yeux sur les perspectives de la danse moderne de création dans le cadre du programme de l’école De La Salle. C’est là que j’ai vu ce qui pouvait se faire en danse contemporaine and that’s how I fell in love with it

C: C’est intéressant parce que les rencontres importantes sont souvent des choses qui nous font réaliser qu’il y a une possibilité. Pour moi, c’est un peu la même chose : ce sont des situations ou des gens m’ont permis de me projeter dans une situation. 

E: Oui et cela crée une sorte de déviation sur ton parcours qui précise où tu t’orientes.

 

Qu’est-ce qui t’inspire le plus dans ton travail?

 

E: Mes pairs dans la danse urbaine: les b-boys, les b-girls, les poppers et les hip hoppers que je côtoie. M’entraîner avec eux m’inspire énormément. Je le remarque, surtout maintenant en temps d’isolement parce que je ne danse presque plus avec des gens (bon c’est certain que j’ai eu un enfant aussi), mais mon évolution est plus lente que d’habitude.

Quand tu es entouré.e de danseurs, il y a plein d’influences qui te nourrissent.   

Aussi, les documentaires d’animaux m’inspirent (rires). J’aime regarder la manière dont les animaux se comportent en nature: leur façon de bouger, de se camoufler et d’aligner leur corps. Et dernièrement, la scénographie m’inspire. C’est comme une nouvelle étape pour Tentacle Tribe que de voir ce qu’il est possible de faire sur scène et en tournée. C’est un peu bizarre ces temps-ci de penser à la tournée, mais bon. Explorer ce que l’on peut faire et voir comment on peut intégrer la scéno à la chorégraphie m’inspire et pas seulement comme un backdrop mais plutôt comme un partenaire comme dans l’art du déplacement.C: D’une certaine façon, tu nommes des choses qui ont rapport à l’écosystème des pairs autour de nous, celui que l’on comprend en regardant les animaux et après, la scénographie. On voit que l’inspiration te vient en grande partie de ton environnement.

 

Quels sont les plus grands défis que tu as rencontrés dans ta carrière et comment est-ce que cela a influencé ton parcours?

 

E: Pour moi, les plus grands défis ont été mes blessures.C: Ah oui? E: Oui, parce que ma première grosse blessure est survenue quand j’avais 26 ans et depuis, j’ai toujours un cas ouvert à la CNESST. Et on dirait qu’à un moment donné cela devient plus psychologique que physique. Avant, je ne réfléchissais pas avant de faire un back hand spring, par exemple. Maintenant, il faut que je me prépare avant de le faire et je suis beaucoup plus prudente et moins free dans ce que je fais, même dans mes freestyles. Le défi est de s’adapter à ces contraintes et ces craintes de se blesser. Surtout en tant qu’interprète. Mais même en tant que chorégraphe:

J’ai besoin de bouger pour créer alors c’est important que je sois libre avec mon outil de travail et si je ne me sens pas bien, ça bloque. 

Et c’est un autre défi pour moi: apprendre à chorégraphier sans trop bouger. Cet été, je chorégraphiais pour des danseurs de Québec et le défi était de verbaliser ce que je voulais au lieu de le montrer (rires).C: En ce moment, quels sont les défis artistiques inhérents à tenir à un projet artistique comme le tien? E: Au départ, je ne voulais pas avoir une compagnie et je ne voulais pas être chorégraphe: je n’avais pas la confiance en moi pour le faire. Mais Elon était comme: “non là, on le fait” et c’est ce qui m’a convaincue de plonger.

Pendant les premières années, ce qui a été le plus difficile était l’aspect administratif. Le fait d’être deux a aidé parce que la charge de travail était partagée: nous avons pu reconnaître et accepter qu’une personne puisse être meilleure dans certains aspects du travail et l’autre, dans d’autres aspects. 

Aussi, on a réalisé que l’on préfère payer une personne pour faire certains aspects administratifs parce que l’on veut tou.tes être au studio pour créer et qu’écrire des demandes de bourses n’est pas toujours la tâche la plus intéressante. Avec le temps, on est devenus organisés et on a nos tâches, mais il y a moins de pression quand tu es deux. Si tu as une entrevue à un endroit, tu peux envoyer l’autre personne dans une autre activité. 

C: Si vous avez fait ce choix de partir la compagnie à deux, j’imagine qu’il devait aussi y avoir un intérêt chorégraphique.

E: Oui et on en est à un point où l’on peut créer nos projets séparément, ce qui est vraiment intéressant: on peut jouer le rôle d’œil externe dans le processus créatif de l’autre. Pour nos prochains projets, nous allons prendre des sections de différentes œuvres pour les remixer ensemble. Encore aujourd’hui, si tu vois une œuvre d’Emmanuelle ou d’Elon, cela reste Tentacle Tribe: tu le vois. Nos créations fit encore ensemble même si on est deux différent.es chorégraphes.

C: Et qu’est-ce qui t’excite pour la suite de ton organisme et pour toi comme artiste? Est-ce que c’est de continuer en collaboration? Est-ce que c’est de faire des solos? Est-ce que c’est de mettre des œuvres sur des interprètes?

E: En ce moment, je suis dans le processus de me remettre en forme parce que je veux encore faire de la scène pour au moins plusieurs années. Oui, j’aimerais faire du travail sur d’autres danseurs mais je veux me concentrer sur (je n’aime pas dire cela) mes “dernières années sur scène” dans le sens où je veux en profiter maintenant. 

Pour être honnête avec toi, la formule solo ne m’intéresse vraiment pas (rires). L’idée de travailler un solo avec une scéno m’intéresserait déjà plus mais le mandat de Tentacle Tribe est d’utiliser des concepts que l’on voit dans les techniques de hip hop et de les transmettre sur plusieurs corps pour voir la relation entre chaque corps avec ces concepts. Donc, si on ne peut pas se toucher ou travailler à plusieurs: Tentacle Tribe, what is it?

 

La question à 1 MILLION DE DOLLARS: si tu avais la possibilité de choisir une loi qui serait appliquée au Québec: que ferais-tu et pourquoi?

 

E: Ok, j’y ai pensé. Quand je suis tombée enceinte, j’ai trouvé cela vraiment fou qu’avec la CNESST, en tant que danseuse, je n’aie pas droit au retrait préventif. J’ai dû arrêter de travailler à 2 mois de ma grossesse et je ne comprends pas que l’on n’ait pas droit au retrait préventif en tant que travailleur.se autonome. 

Par chance, j’étais un peu établie donc j’ai pu m’en sortir. Mais si j’avais été dans ma vingtaine ou en début de carrière: si tu es une danseuse et que tu tombes enceinte, tu n’as pas d’aide. Même chose dans le cas d’une circassienne. 

Si j’avais une loi à appliquer au Québec, je permettrais le retrait préventif aux danseuses et circassiennes lorsqu’elles tombent enceinte.

C: Ce n’est même pas une question il me semble.

E: J’étais bouche bée quand j’ai vu ça : je n’en revenais pas.

C: Tu as vraiment nailed la question à 1 million de dollars (rires).

E: Good (rires).

 

Pour conclure, quels conseils donnerais-tu à un.e artiste qui désire entreprendre une carrière artistique?

 

E: Je pense que c’est important de partir d’une source où tu as du plaisir à faire ce que tu fais parce qu’on sait qu’en tant qu’artiste, tu ne vas pas faire de salaire à six chiffres. Donc pars d’une place où tu t’amuses. 

Je me rappelle qu’à un moment donné, j’allais au studio et je ne le feelais pas et je me suis dit: “go back to the club, vas-y au moins une fois par mois pour ressentir le plaisir que tu as à faire de la danse”. J’étais rendue à un point où je n’aimais plus la danse et c’était devenu beaucoup trop cérébral. 

C’est important de ne pas oublier comment tu es tombé.e en amour avec ta discipline et d’y revenir sur une base régulière.

Parce qu’il faut avoir du fun avec ce que l’on fait parce que l’on ne se fait pas payer assez cher pour le faire. Right? On travaille tellement fort: you gotta have fun.

C: Oui et souvent on part d’une étincelle et des personnes comme toi et moi sont dans des disciplines qui demandent beaucoup de technique. Le tout devient très “sérieux”: on devient très discipliné.es et tout devient très structuré. Tu n’es jamais assez bonne ou bon et toujours en train de travailler sur quelque chose que tu n’es pas capable de faire. Donc tu es toujours dans cet espace qui est trillant mais c’est rare que tu es dans une expérience de plaisir à 100%. Reconnecter avec ce pourquoi c’est l’fun est effectivement important. 

Ce n’est pas nécessairement l’fun parce que tu fais de la tournée, parce que tu réussis à faire tel ou tel truc ou que tu as un gros contrat. C’est l’fun parce que c’était l’fun de sauter tout partout. On est tou.tes passé.es par le côté récréatif avant de passer du côté créatif.

E: Ouais, tu as raison.

 

Un mot de l’équipe

 

Aller à la rencontre de nos artistes associés est pour nous un moment privilégié de rencontre et de découverte. Nous tenons à remercier Claudel et Emmanuelle de s’être généreusement prêtées au jeu.

Si vous aimeriez découvrir d’autres artistes par le biais de nos entrevues, nous vous invitons à consulter notre rubrique Articles Diagramme. Nous vous invitons également à vous abonner à nos pages web pour demeurer informé(e)s. Vos idées et commentaires sont les bienvenus, en espérant que vous ayez aimé lire cette entrevue.

Propos recueillis et transcription par Philippe-Laurent Lacroix, responsable des communications chez Diagramme.

 

 

Crédit photo: Vanessa Fortin