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À propos

 

En 20 ans de carrière en tant qu’interprète, Anne Plamondon a travaillé avec de grands noms de la danse dont les Grands Ballets Canadiens, le Nederlands Dans Theater et le Gulbenkian Ballet du Portugal, pour n’en nommer que quelques-uns.

Elle plonge dans l’univers de la danse au Québec en 2002, moment à partir duquel auront lieu des collaborations avec des visages marquants du milieu tels que Crystal Pite et Victor Quijada et qui donneront lieu à la production de plusieurs œuvres mémorables.

Elle prend le rôle de chorégraphe en 2012 et développe des pièces significatives, tant sous forme de solos, de duos que de créations à plusieurs interprètes pour des compagnies, des écoles et son organisme de création : Anne Plamondon Productions.

Pour accueillir Anne, nous avons pu compter sur Alexandra « Spicey » Landé et son charisme naturel. Ces deux artistes se connaissant déjà très bien, voici comment leur complicité s’est traduite en entrevue.

 

Crédit photo: Michael Slobodian

Entrevue

 

Quel a été ton premier contact avec la danse?

 

A: Je ne sais pas, j’étais trop jeune, je devais avoir 2 ou 3 ans. Je me souviens, je me costumais, j’allais mettre la musique de YMCA chez mes voisins et je dansais tout l’après-midi. À 11 ans, j’ai quitté la maison pour aller danser dans une école à Toronto, au Ballet National. À cet âge, il était déjà très clair que la danse était mon véhicule, une forme de catalyseur.

Avec du recul, je pense que la danse a amené un focus dans ma vie, pour ne pas mettre l’emphase sur mes soucis à la maison. Ce n’étaient pas de graves soucis, mon père souffrait de schizophrénie. Aujourd’hui, beaucoup de gens le savent puisque j’ai créé la pièce Les mêmes yeux que toi, qui abordait ce sujet.

S: Oui c’est vrai! Quand tu as fait cette pièce à propos de ton père, comment as-tu vécu ce processus extrêmement personnel?

A: Quand j’ai eu l’idée de faire ce solo sur la vie de mon père, pour moi ce n’était pas: “ah j’ai vraiment envie d’en parler”. Depuis longtemps, j’avais envie d’expérimenter le solo et j’avais besoin d’espace: j’avais envie de m’offrir toute la scène et vivre l’expérience du solo, qui m’était alors inconnue.

Et je me demandais de quoi j’allais parler, seule sur scène. Je ne voulais pas que la pièce soit à propos de moi. Puis, quand j’ai décidé de parler de mon père, tout s’est placé naturellement parce que c’était une histoire que je connaissais par cœur.

Donc, pour ne pas que je pleure sur mon sort ou celui de mon père, je me suis plongée dans le travail. Tu le sais Alexandra, on va puiser dans nos expériences personnelles, des trucs qui nous touchent et qui nous font mal et la danse nous cadre dans cela par le travail, la discipline et la rigueur, qui sont inhérents à la naissance une œuvre… Lorsque je dis que la danse m’a peut-être sauvée de tous les soucis, c’est à cause du travail. Je travaillais pour que la pièce soit une pièce de danse et non une pièce à propos de la maladie mentale.

S: C’est vrai que cela doit aider à dealer avec ce genre de situation que de la faire devenir partie prenante de son travail.

Mais revenons au fait d’être seule avec soi-même. Je sais que tu sors de résidences et moi aussi je sors d’une résidence où j’étais seule et j’étais overwhelmed by my own self. Pour moi, c’était très intense et toi, tu crées souvent seule. Comment c’est pour toi de te retrouver seule avec soi-même en studio? C’est quoi ton expérience?

A: Quand je l’ai fait la première fois, c’était facile parce que j’avais besoin de cette solitude. J’avais eu la chance de danser pour de grosses compagnies et de gros groupes, toujours entourée de beaucoup de gens. Donc à ce moment, être seule m’a fait beaucoup de bien. Également, le rôle d’un interprète implique souvent de s’oublier un peu soi-même pour être au service de la vision de l’autre right? Un rôle que j’ai a-do-ré faire et parfois, cela me manque by the way.

Mais à un certain moment, je me demandais : “ oui, mais toi Anne?”. J’avais besoin de me connaître et de mieux me comprendre. Si c’était moi qui prenais la décision, quelle serait cette décision? Quel mouvement a envie de suivre tel autre mouvement? Dans cette phase de mon parcours, créer seule m’a fait beaucoup de bien.

 

À quoi rêvais-tu lorsque tu étais jeune?

 

A: Quand j’ai été assez grande pour rêver, je voulais devenir une grande star. C’était un rêve, comme une fantaisie inatteignable. Ce qui est intéressant est qu’à chaque fois que je dansais, je ressentais ce sentiment de bonheur profond, de sécurité et d’être à la maison. Je pouvais m’inventer des univers et me transporter ailleurs. Sur toutes sortes de musiques, je me parlais, je me costumais et me transformais. Et à chaque fois que j’ai confondu le profond appel pour la danse et le désir d’être une star, je me suis toujours retrouvée dans le trouble (rires).

S: Oh! (rires), I like that.

A: (rires) Tout le temps. Cela m’a toujours menée à de la déception, du self destructionet de la comparaison.

S: À des questionnements aussi.

A: À des questionnements. Avec le temps, j’ai réussi àgérer cela. Et quand je réussis à juste être dans ce qui goûte bon, je suis dans la danse : and that’s all that matters.

S: Tellement.

 

 

Qu’est-ce qui t’as amenée à poursuivre une carrière artistique?

 

A: Je sais que je fais partie des chanceux et des chanceuses: ma carrière a glissé assez naturellement d’une étape à l’autre. Est-ce que cela a été facile? No way! Il ne faut pas penser que cela a été facile. À chaque fois que j’arrivais à une autre étape, j’avais toujours l’impression d’arriver de justesse : “ah ils m’ont choisi ouf”. Je ne me sentais jamais à la hauteur des étapes qui se pointaient.

S: Mais le ballet c’est quelque chose.

A: Oui… J’étais jeune et pour moi, il n’y avait rien d’autre : il n’y avait pas d’autre option.

S: C’est génialque tu aies connecté avec quelque chose qui t’habitais. Quand tu sais que tu es engagée dans quelque chose qui fait partie de toi, tu te sens plus ancrée. Même si tu te perds parfois, tu te retrouves toujours parce qu’il y a quelque chose qui t’attache.

A: Oui, absolument.

 

 

À part moi, quelles sont les trois rencontres les plus marquantes de ton parcours? (rires)

 

A: Ah oui (rires). Eh bien, la première n’est pas une rencontre mais un événement. Quand je suis entrée au Nederlands Dans Theater (NDT), à l’âge de 19 ans, pour moi c’était vraiment gros. Oui, c’est une compagnie prestigieuse, mais moi personnellement, ce n’était pas cela qui m’a marquée. À ce moment, je pensais vraiment que j’allais être une ballerine.

S: C’est souvent cela le rêve.

A: Comme j’habitais en pension, que ma famille était loin à Québec et que j’allais à l’école supérieure tous les jours, mes professeurs de danse étaient mes modèles adultes. Donc mes professeurs de danse, c’était toute ma vie: je voulais que ce soient eux qui soient fiers de moi.

Quand j’ai vu le NDT sur scène en 1994 lors de leur passage à Montréal, c’est comme si mon monde venait d’être bouleversé d’un coup: j’avais l’impression que cela me parlait à moi et que c’était tout ce que j’avais toujours voulu faire. Je me disais: “c’est ce que je m’imaginais dans ma tête”. Je ne savais pas que de la danse comme cela existait (rires).

S: Oui je comprends (rires).

A: Et quelques mois plus tard, il y avait des auditions en Hollande et j’y suis allée.

S: Oh my god (rires).

A: Il y avait 400 personnes de partout dans le monde et à la fin, ils ont pris 4 danseurs (rires).

S: Ah! Et tu étais dans les 4?

A: Oui!

S: Oh my god!

A: Oui oui, c’était vraiment particulier.

S: C’est extraordinaire, wow. Tu n’es pas passée sur la peau des fesses là.

A: Mais moi je me sentais comme cela (rires). Cet événement a été vraiment marquant pour moi.

S: C’est un événement qui change une vie cela.

A: Vraiment. Je suis déménagée en Europe, j’avais 19 ans, j’étais la seule canadienne. Il y avait deux australiennes, un norvégien et moi. J’étais très fière de représenter l’École supérieure de ballet parce que j’étais la première à aller au NDT.

Avant, on imaginait nos carrières plus classiques : quand tu graduais, tu allais directement aux Grands Ballets ou d’autres très bonnes compagnies de ballet au Canada : Alberta Ballet, Winnipeg, National évidemment, Ottawa. Pour moi, c’est à ce moment que j’ai arrêtée d’être une ballerine dans le sens où il n’y avait plus de travail de pointes au NDT.

S: Oh wow.

A: Mais cela demeure Kylian : son travail est avec l’esthétique linéaire et la formation de ballet est complètement essentielle. Mais le fait que l’on ne faisait plus de pointes m’a fait me dire que l’on était dans un autre monde. Pour moi, j’étais devenue contemporaine (rires).

L’autre rencontre qui m’a marquée et tu me vois venir c’est certain : il s’agit de ma rencontre avec Victor Quijada. Après 5 ans en Europe, j’ai décidé de revenir à Montréal en ne sachant pas du tout ce que je ferais. Je n’avais pas nécessairement envie de retourner aux Grand Ballets, mais je savais que Montréal était bouillonnante de danse contemporaine.

C’est à ce moment que j’ai rencontré Victor : sa rencontre m’a marquée et je vais toujours m’en souvenir. À l’époque (en 2002), son groupe RUBBERBAND was a crew, a group, a family thing. Quand j’ai vu Victor danser avec Jayko, Jeo Danny, avec Diana à l’époque, j’ai senti quelque chose de profond, de l’essence et de l’expression authentique, ce qui a eu un impact majeur chez moi. Ce n’était pas autant le hip hop que de reconnaître le bien-être que je ressentais quand j’étais jeune et que je dansais. La source, je l’ai reconnue quand j’ai vu Victor danser avec ses danseurs.

S: Oh wow. Oui, cette espèce de liberté.

A: Il y avait là quelque chose: je me suis dit que je devais reprendre contact avec mon mouvement plus instinctif. Et j’ai beaucoup appris des b-girls et des b-boys avec qui j’ai travaillé lors de cette période.

La troisième rencontre marquante est définitivement celle de la chorégraphe canadienne Crystal Pite. Elle est encore aujourd’hui une grande source d’inspiration, parce que c’est une femme chorégraphe qui m’a permis d’imaginer que, peut-être, moi aussi je pourrais le faire un jour.

Mais après, il y a eu plein de personnes et de danseurs qui m’ont inspirée. Beaucoup de danseuses m’ont inspirée et cela je veux le dire parce que l’on oublie la transmission du ressenti d’un danseur à un autre. Les danseurs qui m’ont enseigné leur rôle pour que je les danse.

 

 

Parlant d’inspiration : qu’est-ce qui t’inspires le plus dans ton travail?

 

A: Les choses qui m’inspirent ce sont les choses autour de moi qui arrivent à me traverser.

S: À te rentrer dedans.

A: Oui. Et une fois qu’elles me rentrent dedans, je suis prise avec. Puis, je dois exprimer ces ressentis, ces trop pleins : il faut que je trouve un moyen.

Pour moi, il n’y a pas de différence entre ce que je ressens et ce qui m’inspire.

Je ne peux pas me dire: “je vais prendre la tasse de café et je vais faire une pièce à propos de cela », alors que j’y suis indifférente. Je ne peux pas. Ce sont toutes ces choses de la vie et du monde extérieur que je vois, dont je suis témoin, que j’entends, que je lis et qui réussissent à traverser ma peau.

S: C’est drôle parce que je ne me suis jamais posée la question aussi profondément et j’ai le goût de dire que mon empathie m’inspire. Je suis empathique envers les autres. Ce que tu dis me rejoins : quelque chose doit venir te chercher pour que tu puisses en parler. C’est la première fois que je me rends compte de cela.

A : Oui et je ne peux pas séparer les deux.

 

Jusqu’à présent, quels ont été tes plus grands défis?

 

A: Je n’avais pas de réponse à cette question quand j’ai lu le canevas ce matin (rires).

S: Ok, moi j’ai des réponses pour toi! Si tu n’en as pas.

A: Ok. Oui, parce que tu me connais!

S: Parce que je te connais. Je vais dire COVID, c’est sûr et certain. Parce que tu allais lancer un duo pour la pièce Seulement toi avec James Gregg que j’adore et j’avais tellement hâte de voir cela. De l’extérieur, je me suis dit que ce devait être un énorme défi que de se dire: “I let go of that”.

A: Oui, c’était un choc : cela m’a paru surréaliste.

S: At first. La deuxième chose que je dirais pour toi est quand tu as eu ma belle Maela. Et cela, je ne sais pas comment tu as fait parce j’en connais des mamans et je ne sais pas comment tu as fait. Moi je te dis ces deux défis et à toi de me dire ce que tu en penses.

A: C’est intéressant que tu dises cela. Ma fille, qui est une des plus belles choses de ma vie, est aussi un défi. Je comprends et tu as tellement raison parce que je savais profondément que le jour où je serais une mère: tout changerait. Et je ne voulais pas que cela change.

S: Oh my god.

A: (rires). J’avais peur que cela change. J’avais peur de ne plus être aussi dédiée à ma danse en étant une maman. J’avais peur qu’une partie de mon cœur soit tellement impliquée dans cet engagement que d’être une mère que je ne donnerais plus autant à ma carrière et cela me dérangeait.

Mais c’est inévitable, ta priorité devient ton enfant. Et tu as raison de dire que cette période a été une période de défis puisque j’ai quitté RUBBERBANDance à ce moment.

S: Oui. And that’s a big deal.

A: Oui.

En même temps, je suis devenue une mère et j’ai commencé à faire mes propres chorégraphies et j’ai eu 40 ans (rires).

Et pour un danseur, 40 ans c’est quand même quelque chose.

S: Souvent, les gens pensent que c’est fini.

A: Oui, ces quatre éléments simultanés ont été très exigeants pour moi. En même temps, je savais très bien que si je ne prenais pas soin de mes besoins artistiques, dans dix ans, j’allais le regretter : I had to push through it. Je savais que cette phase allait être difficile, je savais que je n’allais pas dormir assez, que j’allais être fatiguée, il fallait que je fonde une compagnie ahhh.

S: Oh my god, l’horreur (rires).

A: Effectivement, cette période a présenté son lot de défis. C’est vrai. Je ne pensais pas dire cela mais tu as raison: tu me connais bien. C’est une période qui a duré plusieurs années lors de laquelle j’ai pédalé et là : je m’en sors. Maintenant les choses roulent bien.

 

Si tu avais la possibilité de choisir une loi et de l’appliquer au Québec, que ferais-tu et pourquoi?

 

A: C’est tellement drôle, une loi : comme si la solution résidait dans une loi (rires). C’est difficile de répondre à ce type de question parce que je ne suis pas une politicienne. Mais ok : tant que l’on va tolérer que certaines personnes fassent des montants d’argent honteux sur le dos des plus pauvres à travers la manipulation, l’injustice et à travers greed, on va continuer à avoir des inégalités et des déséquilibres sur notre planète.

S: Donc ta loi serait d’égaliser les droits et les ressources?

A: Je ne connais pas toutes les lois fiscales mais je pense qu’il y aurait une façon de régulariser un peu plus efficacement jusqu’où on peut être riches et ce que l’on fait avec notre argent. Et pourquoi les riches ne payent pas assez d’impôts? Pourquoi les lois sont-elles en faveurs des milliardaires de la planète pour les aider à rester milliardaires? L’écart entre les plus pauvres et les plus riches de notre planète, c’est honteux. En réglant quelques petites choses, j’ai l’impression que l’on en équilibrerait plein d’autres.

 

 

Quels conseils donnerais-tu à un ou une artiste qui aimerait entreprendre une carrière?

 

A: Ok, je vais dire une chose et ce n’est pas un conseil: c’est une valeur, une croyance que j’ai. La création c’est génial. Toi, la voix artistique qui t’appartiens, merveilleux. Mais ne perdons pas de vue l’ABC, le craft, le how. Construire une pièce. Tout ce que l’on a à dire en tant qu’artiste, tout cela est important. Toutes les voix artistiques méritent d’être entendues. Mais comment on le raconte, c’est cela qui fait de nous des professionnels de la danse.

S: Oui, tellement.

A: Il ne faut pas sous-estimer l’importance de danser et d’aller chercher de l’expérience. Également, le fait de travailler avec des chorégraphes pour comprendre le métier est très important pour aller chercher les bons outils. Donc voici le conseil que je donnerais:

Remplis ta boîte d’outils pour que tu puisses te sortir de n’importe quelle situation et répondre aux défis que tu vas rencontrer.

Pour que tu aies accès à ces outils à chaque fois où tu te retrouveras dans de nouvelles situations. Gardes en tête que tout ce que l’on apprend va être utile à un moment ou à un autre.

 

Un mot de l’équipe

 

Aller à la rencontre des artistes est pour nous un cadeau, non seulement car c’est ce qui nous permet de garder le cap sur nos rêves et ceux des personnes avec qui nous travaillons, mais également pour se rencontrer et se nourrir de cet apport indéniable de l’art dans nos vies. Nous tenons à remercier Anne et Alexandra pour leur générosité et travaillerons à pied d’œuvre sur la concrétisation des projets artistiques de demain.

Si vous aimeriez découvrir d’autres artistes par le biais de nos entrevues, nous vous invitons à consulter notre rubrique Articles Diagramme. Nous vous invitons à vous abonner à nos pages web pour demeurer informé(e)s. Vos idées et commentaires sont les bienvenus, en espérant que vous ayez aimé lire cette entrevue.

Propos recueillis et transcription par Philippe-Laurent Lacroix, responsable des communications chez Diagramme.

 

Interprètes: Anne Plamondon et James Gregg | Crédit photo : Mary Rozzi